L’Afghanistan : la Conférence de Paris marquera-t-elle une nouvelle stratégie d’ensemble ?
par Karim PAKZAD (IRIS, 16 juin 2008)
La Conférence de Paris sur
l’Afghanistan, le 12 juin 2008, s’est achevée, comme les précédentes
conférences notamment celle de Londres en 2006, sur un résultat mitigé.
Le gouvernement afghan n’a pas obtenu les 50 milliards de dollars qu’il
réclamait pour son plan national de développement étalé sur cinq ans,
mais si cette fois, contrairement au passé, la promesse faite par les
donateurs (plus de 20 milliards de dollars), est effectivement tenue,
on pourrait considérer que cette conférence constitue un succès relatif
pour Hamid KarzaÏ. Ce dernier, de plus en plus contesté en Afghanistan,
y compris par ses propres alliés du Front Uni (les compagnons du
commandant Ahmad Shah Massoud, assassiné quelques jours avant les
attentats du 11 septembre 2001), avait grandement besoin du soutien de
la communauté internationale dans la perspective de l’élection
présidentielle de 2009, dont il est candidat à sa propre succession.
Cependant, au-delà du sort personnel
de Hamid Karzaï, il est temps d’accorder une attention particulière à
la reconstruction de l’Afghanistan en y consacrant les moyens
nécessaires, car ce demi-succès de la Conférence de Paris ne peut
cacher la réalité de la situation militaire, politique, économique et
sociale qui est marquée par l’échec de la communauté internationale
dans ce pays. Il est donc grand temps de s’interroger sur la stratégie
de la communauté internationale qui dans son ensemble est un échec.
Ce qui distingue la Conférence de
Paris de celles de Londres, Tokyo ou Bonn, c’est que l’on a assisté au
début d’une prise de conscience de la nature de la crise en Afghanistan
et au constat, même timidement exprimé, que la solution de la crise ne
serait certainement pas uniquement militaire et qu’il faudrait porter
une attention particulière à la reconstruction de l’Afghanistan en y
consacrant les moyens nécessaires. Des interrogations portées sur la
stratégie de la coalition internationale vis-à-vis de l’Afghanistan,
sur la nécessité d’un Etat afghan fort, sur la nécessité de lutter
contre la corruption de l’administration afghane, par le Secrétaire
général de l’ONU, par les organisations internationales et par les
représentants de la société civile afghane est salutaire.
La stratégie conduite par les
Etats-Unis et fondée sur les actions militaires ne pouvait pas réussir
en Afghanistan. On a privilégié dès le début une solution militaire
sans s’en donner les moyens en refusant l’extension de la Force
Internationale d’Assistance à Sécurité (FIAS) en dehors de Kaboul en
2002, permettant ainsi aux Talibans de se réorganiser dans leurs zones
d’origine. Ignorant la réalité complexe de la société afghane, une fois
les Talibans défaits sous les bombes des B52, la communauté
internationale, sous le coup de l’émotion, certes légitime, créée après
les attentats terroristes du 11 septembre, a suivi le président
américain dans sa « guerre totale contre le terrorisme » et
accessoirement en faveur de la « reconstruction » et la «
démocratisation » de l’Afghanistan.
Près de sept ans après, le constat est
tristement amer : Al-Qaïda même affaibli, est toujours actif. Oussama
Ben Laden, Ayman Al Zawaheri, le mollah Omar et Gulbuddin Hekmatyar
sont introuvables. Alors que le nombre des soldats étrangers, près de
5000 en 2002, s’élève à 70.000 aujourd’hui, certains responsables de
l’OTAN n’hésitent pas à évoquer un échec en Afghanistan. Malgré des
milliards de dollars dépensés, plus de la moitié de la population vit
dans l’insécurité et la pauvreté et les quelques espaces de liberté
imposés par la communauté internationale à la Conférence de Bonn sont
de plus en plus menacés.
Les engagements en matière de
reconstruction n’ont pas été tenus. Depuis 2001, sur 25 milliards de
dollars promis, les donateurs n’ont versé que 15 milliards de dollars.
40 % de l’aide versée revient aux pays donateurs sous la forme des
salaires des expatriés et les bénéfices des sociétés étrangères, sans
parler de la corruption qui touche l’administration afghane à tous les
échelons*. Supposons que ces 15 milliards de dollars étaient réellement
destinés à la reconstruction, au développement et à l’aide humanitaire
à la population afghane, cette somme est très insuffisante par rapport
aux 140 milliards de dollars dépensés seulement par les Etats-Unis pour
ses opérations militaires en Afghanistan. Pour mieux saisir le fossé
qui sépare l’aide humanitaire des dépenses militaires, il faut savoir
qu’actuellement trois milliards de dollars sont dépensés mensuellement
par les Etats-Unis pour ces 20.000 soldats, alors que la totalité de
l’aide humanitaire à l’Afghanistan dépasse à peine 200 millions de
dollars par mois. En fin de compte, la population ne voit pas un grand
changement dans sa vie quotidienne.
D’ailleurs, l’aide effectivement
accordée ne pouvait être efficace qu’à deux conditions : la sécurité et
une administration efficace et moins corrompue. En l’absence d’un Etat
fort, une armée et des forces de police efficaces, comment peut-on
mener à bien la reconstruction, notamment agricole, et éradiquer les
trafics de drogue ? Rappelons que l’Afghanistan fournit 98 % de
l’héroïne consommée en Europe. Pour toutes ces raisons, qui ne datent
pas d’aujourd’hui, l’échec de la communauté internationale marquée par
l’aggravation de la situation depuis que l’OTAN a pris, en août 2003,
le commandement de la FIAS, était prévisible**.
Que fait la France ?
Le moins que l’on puisse dire c’est
qu’elle ne sait pas exactement où elle va ! Le 26 avril 2007, le
candidat Nicolas Sarkozy, interrogé sur la présence militaire
internationale en Afghanistan disait : « La présence à long terme de
nos forces dans cet endroit n’est pas décisive». Il laissait entendre
que la France poursuivrait son désengagement militaire en Afghanistan,
initié par Jacques Chirac en décembre 2006. On aurait pu penser alors
que la France serait capable de mener une politique indépendante de
l’administration Bush sur certains dossiers (notamment sur celui du
Liban). Mais les maladresses du président de la République,
l’impuissance du ministre des Affaires Étrangères et les concurrences
entre l’Elysée et le Quai d’Orsay ont abouti au discrédit de notre
diplomatie dans ce pays. Sur l’Afghanistan, comme sur de nombreux
autres sujets, la réorientation de la politique étrangère de la France,
s’alignant sur la vision du président George W. Bush, pourtant
discrédité et en fin de mandat, a débouché sur l’incohérence de notre
diplomatie.
Après son élection, le Président
Nicolas Sarkozy a accompli des gestes importants : le redéploiement de
nos avions de combat du Tadjikistan vers la base américaine à Kandahar
où l’ordre est donné aux instructeurs militaires d’accompagner l’armée
afghane dans les opérations de combat. Mais c’est la décision prise en
avril 2008 de répondre positivement à la demande du président Bush et
d’envoyer 700 soldats supplémentaires dans l’Est du pays - demande
refusée par d’autres pays européens et notamment l’Allemagne -, qui
constitue le point culminant de cette réorientation. Cette décision ne
signifiait pas seulement le renforcement de nos troupes en Afghanistan.
Il s’agissait aussi de modifier la nature de notre engagement en
privilégiant une solution militaire au conflit afghan. En réalité,
cette décision de Nicolas Sarkozy est davantage motivée par son désir
de réintégrer le commandement unifié de l’OTAN que par l’exigence de
combattre les Talibans. Nicolas Sarkozy rêve de mettre la France au
cœur d’un « pilier européen de l’Alliance atlantique », alors qu’aucun
débat n’a eu lieu sur la nature, la mission et l’objectif de l’OTAN
aujourd’hui. Deviendrait-elle le « bras armé » planétaire de l’Occident
? Son pilier européen sera-il autonome ? Ce qui importe ici, c’est la
mission de nos forces en Afghanistan et l’idée que la solution du
conflit afghan serait uniquement militaire. L’incohérence ne s’arrête
pas là. Le Président de la République n’a-t-il pas déclaré, le 23 avril
2008, après avoir énuméré une longue liste des méfaits, voire des
crimes commis par les Talibans, qu’il excluait toute discussion avec
eux ? Or, un mois plus tard, le 24 mai 2008, le ministre des Affaires
Étrangères, Bernard Kouchner, a déclaré qu’en Afghanistan « la
réconciliation nationale devrait passer par les Talibans ou par ceux
qui parlent en leur nom ». Le même jour, un journal de Kaboul résumant
cette position et l’évolution de la situation en Afghanistan titrait :
« Adieu à la démocratie ».
Enfin, il faut rappeler le décalage
qui existe entre l’engagement militaire de la France en Afghanistan par
rapport à sa contribution à la reconstruction et au développement de
l’Afghanistan. Même si le Président Sarkozy a annoncé que la France
doublerait son aide bilatérale à l’Afghanistan, la contribution
française est franchement insuffisante par rapport à d’autres pays
européens comme l’Allemagne, la Grande- Bretagne, la Norvège … Avec 109
millions de dollars d’aide en six ans, la France occupe le 21e rang
mondial, derrière l’Iran, le Danemark ou la Fondation privée d’Aga
Khan. Même doublé, l’engagement financier de la France n’est pas à la
hauteur de son engagement militaire.
Deux notions - « afghanisation » et «
réconciliation » - sont actuellement les maîtres mots de la diplomatie
française. La question est de savoir comment les aborder ? Évidemment,
les Afghans doivent prendre leur sort en main. Il faudrait accorder un
rôle accru au gouvernement afghan pour gérer l’aide internationale et
le maintien de la sécurité. Mais, comment peut-on mettre cela en œuvre
sans préparer ce gouvernement à assumer ces tâches, lorsqu’on connaît
l’état actuel de l’administration afghane ? L’armée afghane et les
forces de sécurité ne sont pas capables d’assurer aujourd’hui, la
sécurité, y compris à Kaboul. Des efforts considérables sont
nécessaires dans ces domaines sans quoi « l’afghanisation » chère à la
diplomatie française reste un mot sans portée réelle. Quant aux
Talibans, les difficultés militaires de l’OTAN justifient-elles le
retour de ces criminels ? C’est ignorer l’histoire et la structure
ethnique et tribale de ce pays. Les Talibans perdront de leur nuisance
s’il y a une stratégie politique cohérente mise en place : un
changement radical dans les opérations militaires qui font plus de
victimes parmi la population civile que les combattants, un effort
accru pour le développement et l’aide humanitaire, notamment dans les
zones touchées par l’insurrection, un rôle plus important pour les
chefs tribaux pachtounes dans les négociations, l’association des pays
voisins, notamment le Pakistan, sans lequel il n’y aura pas de paix et
de stabilité en Afghanistan. Cela exige un engagement ferme de la part
du Pakistan afin d’empêcher que les Talibans utilisent le sol
pakistanais comme une base arrière et les partis islamistes pakistanais
comme des alliés, la reconnaissance de la ligne frontalière entre les
deux pays par Kaboul qui serait considérée par Islamabad comme un
élément déterminant en la matière.
Or, sans une stratégie d’ensemble, la
politique de « réconciliation » ne fait que conforter dans leur
intransigeance les Talibans, qui font du retrait des Forces étrangères
la condition des négociations avec Kaboul. N’oublions pas que, malgré
une gestion contestable de l’après-Taliban, la présence internationale
a favorisé la naissance d’une société civile dynamique en Afghanistan.
Des mouvements pour la démocratie, souvent dans l’opposition, même
embryonnaires, sont nés. Ces mouvements, ainsi que les fragiles
libertés acquises, sont de plus en plus menacés par les autorités dans
la perspective des négociations avec les Talibans qui n’ont rien changé
ni à leur conception de la société, ni à leur approche du pouvoir.
* ACBAR, Agence de coordination de l’aide à l’Afghanistan, 25 mars 2008.
** «Afghanistan : Incertaine transition vers la démocratie », Revue Stratégique et Internationale, 2004, N° 57.
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