France/Afghanistan : "Il n'y a pas de solution militaire"
Karim PAKZAD par Alain Renon (RFI.fr, 20 août 2008)
Quel enseignement peut-on tirer des affrontements de lundi ?
Ces affrontements renvoient aux
questions essentielles : qui sont les talibans et comment un mouvement
disparate, qu'on peut au mieux qualifier de guérilla, est-il capable de
mettre en difficulté les forces de l'OTAN, puissamment armées ? Pour y
répondre, il faut se souvenir que lorsqu'ils ont été chassés par les
bombardements aériens massifs de l'armée américaine, les talibans ont
effectivement perdu le pouvoir à Kaboul en novembre 2001. Mais ils se
sont très vite repliés dans leur zone traditionnelle d'influence, à
savoir le pays pachtoune, qui s'étend du nord-est jusqu'à l'ensemble du
sud et à l'est de l'Afghanistan. Les talibans n'ont donc pas été
désarmés. Ils se sont réorganisés, et en deux ans, ils sont parvenus à
revenir sur le terrain militaire.
D'autres facteurs les ont ensuite
considérablement favorisés, notamment depuis 2004. Le premier, c'est la
solidarité qui s'est nettement accrue entre les talibans afghans et
ceux que l'on appelle désormais les talibans pakistanais, militants
islamistes radicaux des zones tribales pakistanaises, juste de l'autre
côté de la frontière. Le renforcement du mouvement taliban pakistanais
a aidé les talibans afghans. Et puis, il y a aussi la responsabilité du
gouvernement afghan et, plus encore de la communauté internationale.
C'est-à-dire ?
Il y a d'abord l'échec de la
reconstruction politique et économique de l'Afghanistan. En mettant
l'accent quasi exclusivement sur une solution militaire, les
Etats-Unis, puis l'ensemble de l'OTAN, ont sous-estimé le redressement
économique et la reconstruction de l'Etat afghan : la mise en place
d'une administration efficace et saine. Le résultat n'est pas à la
hauteur de l'attente des Afghans. Il y a aujourd'hui un semblant de
pouvoir étatique à Kaboul, mais rien n'a été fait pour le rendre
crédible et efficace. Conséquence : Hamid Karzaï, certes élu, est très
impopulaire, au point de n'être pas du tout assuré d'être reconduit
l'an prochain. Donc, il y a divorce entre les Afghans et ce pouvoir
d'Etat, dû notamment à sa corruption considérable.
Mais ce pouvoir est également victime
d'une politique internationale, insuffisamment attentive à la
reconstruction. L'insécurité règne partout en Afghanistan, même dans
les régions où les talibans ne sont pas actifs. Et cette insécurité,
due à la criminalité, au trafic de drogue, etc, fait que la population
est de plus en plus mécontente aussi bien du pouvoir central de Kaboul
que de la présence militaire étrangère.
La force politique des talibans vient-elle principalement de la faiblesse du pouvoir afghan, trop corrompu et trop composite ?
C'est une partie de l'explication. Et
c'est pour cela qu'il faut faire pression sur ce gouvernement tout en
l'aidant à mettre en place une administration plus efficace, moins
corrompue ; en l'aidant aussi à bâtir une armée nationale forte, bien
équipée et bien formée. Ce n'est qu'une fois cette tâche accomplie,
qu'on peut envisager une solution négociée avec les talibans.
Ce qui
retarde cette reconstruction et donc les négociations, c'est selon vous
l'option trop militaire des Occidentaux, au détriment d'une dimension
proprement afghane ?
Absolument ! Si l'on écoute les
déclarations des autorités françaises [depuis mardi], on constate que
l'intervention en Afghanistan se résume à la guerre contre le
terrorisme et à la défense des démocraties. La réalité afghane est
beaucoup plus complexe. Et on ne peut pas réduire le mouvement taliban
à un simple mouvement terroriste. On peut pointer leurs méthodes
terroristes contre la présence étrangère, mais les talibans constituent
une force politique, ethnique, qui a une assise populaire importante.
Il faut admettre cette réalité de la
société afghane pour trouver une issue politique. Certains pays membres
de l'OTAN ont commencé à la prendre en considération, comme la
Grande-Bretagne, qui a engagé des contacts directs avec les talibans en
2006, dans le Helmand et à Kandahar. Cette prise en compte progresse
aussi au sein de l'Alliance et même à l'ONU où on reconnaît qu'il n'y a
pas de solution militaire en Afghanistan. Il faudra, à un moment donné,
des négociations politiques avec les talibans.
Mais on a le
sentiment d'une impasse : si des négociations s'ouvrent avec des
talibans, c'est affaiblir, voire détruire, l'administration Karzaï…
On est effectivement dans une impasse.
Le gouvernement de Kaboul négocie avec les talibans ; l'OTAN cherche
aussi de son côté à négocier avec les talibans. Mais aujourd'hui, les
talibans, renforcés sur le terrain, posent leurs propres conditions à
des négociations. Ils acceptent de dialoguer avec le gouvernement de
Karzaï, mais ils exigent que les troupes étrangères quittent auparavant
l'Afghanistan. C'est une impasse.
D'une part, on a peur du retour des
talibans, à juste titre. Mais de l'autre, il n'y a pas d'autre solution
que d'associer les talibans. Ou plutôt des talibans, parce que ce n'est
pas un mouvement uni. Il y a parmi eux des commandants de la résistance
à l'Armée rouge, qui ont une autorité. Il faut trouver parmi eux des
interlocuteurs pour négocier et pour mettre fin à cette guerre. Le
problème, c'est la conception de George Bush de la guerre totale au
terrorisme. Elle s'est révélée désastreuse, aussi bien en Afghanistan
qu'au Pakistan, d'ailleurs.
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